Chapitre 20

 

Alors qu’il entrait dans l’établissement obscur, Zedd s’avisa que sa tenue – une longue tunique bordeaux aux manches noires avec des broderies sur la poitrine, au col et aux poignets – n’était guère adaptée à la situation, La ceinture en satin rouge, avec sa boucle en or, ne faisait rien pour arranger les choses.

Zedd regrettait ses anciens vêtements, dont il s’était séparé sur l’insistance d’Adie, qui avait choisi son nouvel accoutrement. Pour un puissant sorcier, la sobriété vestimentaire était l’équivalent de l’uniforme d’un soldat. La vieille magicienne, à n’en pas douter, avait cédé à des penchants esthétiques douteux.

Adie lui manquait, et il se désolait qu’elle le croie mort, comme tous ses autres compagnons. Dès que ce serait possible, il demanderait à Anna d’écrire un petit mot dans son livre de voyage. Ainsi, ses amis sauraient que la nouvelle de sa fin était prématurée…

Le vieux sorcier s’inquiétait surtout pour Richard, qui avait terriblement besoin de lui. Né avec le don, il lui fallait un mentor compétent. Sinon, il risquait d’être aussi impuissant qu’un aiglon tombé du nid. Par bonheur, l’Épée de Vérité le protégerait jusqu’à leurs retrouvailles – imminentes si ce fichu Nathan voulait bien se laisser mettre la main dessus.

Le tenancier du bouge écarquilla les yeux dès qu’il aperçut son riche client. Sur la droite, dans une alcôve enfumée, quelques buveurs misérablement vêtus tournèrent la tête vers le noble visiteur. Au fond de la salle deux « tables » – en réalité, des planches posées sur des tréteaux – attendaient d’éventuels dîneurs.

— Une pièce d’argent la nuit, lâcha l’aubergiste d’un ton las. Et une de plus pour avoir de la compagnie.

— On dirait que mon bon goût vestimentaire me coûte cher, fit Zedd. L’homme eut un sourire en coin et tendit une main, paume vers le plafond.

— Le prix est le même pour tout le monde. Alors, vous la voulez, cette chambre ?

Zedd laissa tomber une pièce d’argent dans la pogne du type.

— Troisième porte à gauche, au fond du couloir, derrière moi… Alors, vieil homme, on a envie de ne pas se coucher seul ?

— Si j’accepte votre proposition, vous devrez partager les bénéfices avec ma… dame de compagnie. Que diriez-vous d’une affaire beaucoup plus rentable ?

L’aubergiste ferma le poing sur la pièce d’argent et plissa le front.

— De quel genre ?

— J’ai appris qu’un vieil ami à moi est descendu dans votre charmant établissement. Voilà un moment que je ne l’ai pas vu, ce chenapan ! S’il est là ce soir, et si vous m’indiquez sa chambre, je vous donnerai une pièce d’or. Pour un si petit service, avouez que c’est royal.

— Et il a un nom, cet ami ?

— Comme beaucoup de vos clients, les patronymes lui posent un problème. À croire qu’il a du mal à s’en souvenir. Du coup, le pauvre en change tout le temps. Mais je peux vous le décrire : grand, vieux, de longs cheveux blancs qui tombent sur ses épaules musclées…

— Je vois qui c’est, mais il est… hum… occupé.

Zedd exhiba la pièce d’or et retira la main quand l’aubergiste voulut s’en emparer.

— Ça, mon ami, c’est vous qui le dites. Je jugerai par moi-même s’il convient de le déranger.

— Dans ce cas, ça vous coûtera une pièce d’argent supplémentaire.

— En quel honneur ?

— Pour payer la dame.

— Je n’ai aucune intention de m’offrir ses services.

— On parie ? Quand vous la verrez, votre vieux corps rabougri se souviendra qu’il a été jeune un jour… La politique de la maison est très simple : on paie d’avance. Si la fille me dit que vous ne l’avez pas touchée, je vous rendrai la pièce d’argent.

Zedd ne crut pas un mot de ce joli discours. Pas née de la dernière pluie, la prostituée mentirait, et il ne reverrait jamais son « avance ». Aussi irritante que fût la méthode, l’argent n’avait aucune importance dans l’affaire en cours. Il tira donc de sa poche une nouvelle pièce.

— Dernière porte sur la droite, dit l’aubergiste en s’en emparant. Dans la chambre d’à côté, il y a une cliente qui ne veut pas être dérangée.

— Pas d’inquiétude, je serai très discret…

— Bien qu’elle soit assez ordinaire, je lui ai proposé de lui tenir compagnie – gratuitement, en plus. Mais elle a promis de m’écorcher vif si quelqu’un perturbait son repos. Quand une femme a assez de cran pour venir seule ici, on ne prend pas ses menaces à la légère… Si vous la réveillez, je devrai lui rembourser la chambre. Mais l’argent sortira de votre bourse. C’est compris ?

Zedd acquiesça distraitement et songea un instant à se commander un repas, car il avait l’estomac dans les talons. À regret, il renonça à ce projet.

— Avez-vous une porte de derrière, demanda-t-il, au cas où j’aurais envie de prendre l’air ? (Si Nathan n’empruntait pas la bonne issue, le plan tomberait à l’eau.) Si la réponse me coûte un supplément, je ne discuterai pas…

— L’auberge est adossée à l’atelier du forgeron, répondit le tenancier en s’éloignant. Désolé, mais il n’y a pas d’autre sortie.

La dernière porte à droite, et une seule issue… Quelque chose ne collait pas. Nathan n’était pas aussi stupide. Pourtant, Zedd sentait la magie du lien crépiter dans l’air.

Bien qu’il trouvât étrange que le Prophète se laisse aussi obligeamment coincer, il avança dans le couloir obscur, tous les sens aux aguets. Mais il ne capta rien, à part les gémissements de plaisir parfaitement imités d’une professionnelle aguerrie, dans la deuxième chambre sur la gauche.

Au bout du couloir, une chandelle anémique brûlait dans son support en bois. De la pièce attenante à celle qu’il visait montaient les ronflements légers de la dame qui ne voulait pas être dérangée. Si tout se passait bien, elle dormirait comme un bébé…

Zedd plaqua l’oreille contre le battant de la chambre où Nathan était censé prendre du bon temps. De fait, il entendit un rire de femme. Si ça tournait mal, la malheureuse risquait d’être blessée. Voire de rendre l’âme, en cas de catastrophe…

Devait-il attendre un peu ? Non, car surprendre le Prophète en pleine action lui donnerait un net avantage. Ce gaillard était un sorcier, et tout dépendait de l’horreur que lui inspirait l’idée d’être repris par sa geôlière.

S’imaginant comment il réagirait à sa place, le vieil homme décida de mettre toutes les chances de son côté.

Il ouvrit la porte à la volée, tendit une main et projeta dans la chambre un petit vortex de lumière et de chaleur.

Le couple nu sur le lit fut aveuglé, comme prévu. Invoquant un poing d’air, Zedd arracha Nathan à sa compagne d’une nuit et le fit basculer du lit. Alors que le Prophète grognait de douleur et de rage, il saisit la femme par un poignet et la tira hors de la couche. Au passage, elle eut le réflexe d’attraper un drap.

Alors que les éclairs continuaient à crépiter, Zedd lui jeta un sort de paralysie, la pétrifiant avant qu’elle ait eu le temps de couvrir sa jolie poitrine. Aussitôt après, il lança sur l’homme un sort similaire, mais bardé de toutes les protections idoines, au cas où il tenterait de s’en libérer. Nathan risquerait de se blesser gravement, mais l’heure n’était pas aux demi-mesures.

La chambre redevint aussi silencieuse et calme qu’un sanctuaire. Ravi d’avoir pu épargner la fille, Zedd fit le tour du lit pour observer l’homme pétrifié, la bouche ouverte sur un cri qu’il n’avait pas pu pousser.

Une opération rondement menée…

… Sauf que ce gaillard n’était pas Nathan !

Zedd n’en crut pas ses yeux. Il sentait toujours le lien magique, et c’était bien celui qu’il avait imposé au Prophète.

Il se pencha sur l’inconnu.

— L’ami, je sais que tu peux m’entendre, alors, ouvre bien les oreilles. Je vais te libérer de mon sortilège. Mais si tu cries, je le lancerai de nouveau, et tu resteras figé jusqu’à la fin des temps. Alors, réfléchis bien avant d’appeler à l’aide. Comme tu l’as sans doute remarqué, je suis un sorcier. Si tu m’énerves, personne ne pourra t’arracher à mes griffes.

Zedd passa les mains au-dessus du type, qui recouvra aussitôt sa liberté de mouvement et se plaqua contre le mur – en silence, heureusement pour lui.

Âgé, mais l’air quand même plus jeune que Nathan, il arborait des cheveux bouclés notablement moins longs que ceux du Prophète. Mais l’aubergiste s’était sans doute mépris de bonne foi sur la description sommaire du sorcier.

— Qui es-tu, l’ami ?

— Je me nomme William… Vous êtes Zedd ?

— Comment sais-tu ça ?

— L’homme que vous cherchez me l’a dit. (William désigna une chaise bancale.) Je peux remettre mon pantalon ? Apparemment, je n’ai aucune chance de finir ce que j’ai commencé, cette nuit…

— Habille-toi, mais n’arrête pas de parler. Surtout, n’oublie pas qu’un sorcier devine quand on lui ment. Et sache que je suis de très mauvaise humeur.

Comme tout un chacun, un sorcier pouvait être abusé par un affabulateur doué. Mais comment William l’aurait-il su ? Quant à la mauvaise humeur, ce n’était absolument pas du bluff !

— J’ai rencontré l’homme que vous traquez, messire Zedd. Il ne m’a pas dit son nom, mais proposé… (Tout en enfilant son pantalon, William jeta un coup d’œil à la prostituée.) Elle m’entend ?

— Ne t’inquiète pas d’elle, l’ami. C’est moi, ton pire cauchemar. Parle !

— Il m’a offert une bourse bien pleine, si je consentais à lui faire une faveur…

— Laquelle ?

— Prendre sa place… (William regarda de nouveau la femme paralysée – et maintenant informée qu’il était plein aux as.) Jusqu’à cette ville, je devais chevaucher comme si j’avais le Gardien aux trousses. Ensuite, je pouvais ralentir, prendre un peu de repos ou même m’arrêter. Il m’a prévenu que vous finiriez par me rattraper.

— Et que t’a-t-il dit d’autre ?

William finit de boutonner son pantalon, s’assit sur la chaise et entreprit d’enfiler ses bottes.

— Que je ne devais pas être pris avant d’arriver ici – au minimum. Comme j’ai filé plus vite que le vent, j’ai cru avoir le temps de dépenser un peu de mon argent. Je ne vous croyais pas si près de moi…

Il se leva et passa un bras dans la manche de sa chemise marron.

— Enfin, il m’a chargé de vous remettre un message.

— Quoi ?

William finit d’enfiler sa chemise, plongea une main dans la poche de son pantalon et en sortit une bourse effectivement rondelette.

— C’est là-dedans…

— Laisse-moi voir ça ! fit Zedd en s’emparant de la bourse.

Il l’ouvrit et découvrit une petite fortune en pièces d’or et d’argent. Quand il en saisit une entre le pouce et l’index, il sentit aussitôt le picotement caractéristique de la magie. À l’évidence, Nathan savait transformer le cuivre en or…

Une très mauvaise nouvelle. Cette « alchimie » était dangereuse, et le vieil homme lui-même y recourait exclusivement en cas d’extrême urgence.

Au milieu des pièces, Zedd découvrit une feuille de parchemin pliée et repliée. Il la sortit et la regarda attentivement, en quête de quelque piège magique.

— C’est le message que je devais vous remettre, confirma William.

— T’a-t-il confié autre chose ?

— Avant de me quitter, il m’a regardé dans les yeux et il a soufflé : « Dis à Zedd que ce n’est pas ce qu’il croit. »

— Et dans quelle direction est-il parti ?

— Je n’en sais rien… J’étais déjà en selle. Sans crier gare, il a flanqué une grande claque sur la croupe de mon cheval…

Zedd lança la bourse à William. Sans cesser de le surveiller du coin de l’œil, il déplia le message.

 

« Désolé, Anna, mais j’ai une affaire urgente à régler. Une de tes sœurs s’apprête à faire une grosse bêtise, et je dois l’en empêcher – si je peux. Au cas où il m’arriverait malheur, je tiens à dire que je t’aime, mais je suppose que tu t’en doutes, depuis le temps. Évidemment, je préférais le taire tant que j’étais ton prisonnier…

Zedd, si une lune rouge se lève, comme je le pense, c’est que nous sommes tous en danger de mort. Et si cela se produit trois nuits de suite, nous saurons que Jagang a invoqué une prophétie à Fourche-Étau. Dans ce cas, tu dois à tout prix trouver le trésor des Jocopos. Ne perds surtout pas de temps à me poursuivre, car ça signerait notre arrêt de mort…et le triomphe absolu de Jagang.

Une prophétie à Fourche-Étau piège doublement sa victime, et dans ce cas, il s’agit de Richard. Puissent les esprits avoir pitié de son âme !

Si je comprenais cette maudite prédiction, je te dirais tout, mais les esprits du bien ne m’ont pas donné accès à cette terrible connaissance.

Anna, accompagne Zedd, car il aura besoin de ton aide. Que les esprits vous protègent tous les deux… »

 

Alors qu’il battait des cils pour éclaircir sa vision troublée par les larmes, Zedd sentit une étrange protubérance sous ses doigts, au verso de la feuille. La retournant, il s’avisa que c’était une traînée de cire. Le message avait été scellé, et…

Le vieux sorcier leva les yeux au moment où la matraque de William s’abattait sur lui. Il tenta d’esquiver le coup, mais n’y parvint pas et s’écroula comme une masse.

L’homme se jeta sur lui et lui plaqua un couteau sur la gorge.

— Où est le trésor des Jocopos, vieillard ! Parle, ou je te vide de ton sang !

Zedd tenta de focaliser sa vision, mais la nausée l’en empêcha.

— Parle ! beugla William. (Il enfonça sa lame dans le bras du sorcier.) Où est le trésor !

Une main jaillie de nulle part saisit le vieux bandit par les cheveux et l’envoya s’écraser contre le mur du fond.

Une femme d’âge moyen vêtue d’un long manteau noir se pencha sur Zedd.

— Laisser fuir Nathan était une grosse erreur, siffla-t-elle. En vous suivant, toi et ta vieille bique de compagne, je pensais bien trouver ma proie. Mais qu’y a-t-il au bout de ton prétendu lien magique ? Un vieux truand sans intérêt ! Du coup, je vais devoir te maltraiter, mon pauvre ami. Parce que je veux capturer le Prophète !

L’inconnue se tourna et tendit une main vers la prostituée paralysée. Un rayon noir fusa de ses doigts, traversa la chambre en grondant et coupa en deux la pauvre femme et le drap qu’elle tenait. Du sang macula les murs et le torse de la fille tomba sur le sol comme celui d’une statue qu’on vient de scier en deux. Alors que ses entrailles se répandaient sur le plancher, ses jambes et ses hanches restèrent debout, toujours pétrifiées.

La femme se plaça de nouveau face à Zedd.

— Tu veux savoir ce que la Magie Soustractive peut faire à un homme, vieillard ? C’est très instructif, surtout quand on traite un membre après l’autre… Donne-moi ce message !

Zedd tendit la main, comme s’il voulait obéir. Parvenant à se concentrer malgré sa nausée, il embrasa le parchemin, qui se consuma en une fraction de seconde.

Folle de rage, la femme se tourna vers William.

— Que disait ce message, vermine ?

Jusque-là tétanisé par la panique, le scélérat aux cheveux blancs se releva tant bien que mal et sortit de la chambre en boitillant.

— Quand je reviendrai, promit la femme à Zedd, tu me diras tout ce que tu sais, avant de mourir !

Alors qu’elle courait vers la porte, le vieux sorcier sentit une étrange combinaison de magie s’attaquer au bouclier qu’il avait érigé à la hâte.

La douleur explosa dans son crâne.

Il tenta en vain de la repousser et ne réussit pas davantage à la dominer. Sans être paralysé, il ne parvenait pas à ordonner à ses jambes de le remettre debout. Comme une tortue renversée sur le dos, il dut se contenter de battre stupidement des membres. Au bord de l’inconscience, il se prit la tête à deux mains et appuya très fort, espérant ainsi l’empêcher d’éclater.

Soudain, une explosion retentit, suivie par une onde de choc qui souleva à demi le vieil homme du sol.

Le toit de la chambre se désintégra et un éclair illumina la pièce. Alors que des échardes de bois et des gravats volaient en tous sens, Zedd s’aperçut qu’il ne souffrait plus.

La Toile de Lumière venait de s’activer.

Des débris embrasés tombèrent sur le vieux sorcier, qui se roula en boule pour limiter les dégâts. Le vacarme l’assourdissait comme s’il s’était réfugié sous un toit en tôle pendant une averse de grêlons.

Quand le silence revint, Zedd écarta les mains de sa tête et regarda autour de lui.

À sa grande surprise, le bâtiment tenait encore debout – plus ou moins. Il ne restait plus rien du toit, et les murs étaient constellés de trous, comme une vieille couverture mangée aux mites. Les restes sanguinolents de la prostituée gisaient près du lit.

Après un rapide examen, Zedd s’étonna d’être en si bon état, toute chose égale par ailleurs. Sa tête saignait abondamment, suite au coup de matraque de William, et son bras le lançait à l’endroit où ce crétin l’avait poignardé. À part ça, il était indemne. De quoi se réjouir, étant donné les circonstances.

Quelque part, une femme poussait des cris hystériques. Plus loin, des sauveteurs déblayaient déjà les débris, cherchant sans doute les morts et les blessés. Ce qui restait de la porte s’ouvrit à la volée pour laisser passer une silhouette heureusement familière.

— Zedd ! Vous êtes vivant ?

— Fichtre et foutre, femme, ai-je l’air d’un cadavre ?

— Non, admit Anna, mais il s’en faut de peu. Et votre crâne pisse le sang.

Zedd gémit de douleur quand la Dame Abbesse l’aida à s’asseoir.

— Ravi de te voir en pleine forme, chère amie, dit-il. C’est un coup de chance, quand on est si près du point focal d’un sort de lumière.

Anna écarta les cheveux poisseux de sang du vieil homme et étudia sa blessure.

— Ce n’était pas Nathan…, dit-elle. J’avais presque passé le collier au cou de cet homme, quand il a activé la Toile. Mais sœur Roslyn est sortie à son tour, et elle s’est jetée sur lui en hurlant je ne sais quoi au sujet d’un message.

» Roslyn est une Sœur de l’Obscurité… Mes vieilles jambes ne sont plus ce qu’elles étaient, pourtant, j’ai couru comme une gazelle quand je l’ai vue invoquer la Magie Soustractive pour neutraliser votre Toile.

— Apparemment, ça n’a pas marché, lâcha Zedd. Elle n’avait jamais dû se frotter à un sort lancé par un Premier Sorcier. Mais je n’avais pas prévu de faire un tel carnage. Hélas, la Magie Soustractive a renforcé ma Toile, et des innocents ont été blessés ou tués.

— Au moins, cette maudite Roslyn est morte avec eux.

— Anna, guéris-moi et allons aider les survivants !

— D’abord, dites-moi qui était cet homme ? Et pourquoi a-t-il activé la Toile ? Enfin, où est Nathan ?

Zedd tendit un bras et ouvrit le poing, révélant le petit tas de cendres qu’il contenait. Le front plissé par la concentration, il laissa sa magie déferler dans les résidus noirâtres qui changèrent de couleur puis se réunirent pour reconstituer la feuille de parchemin d’origine.

— Je n’aurais pas cru qu’on puisse faire une chose pareille…, souffla Anna.

— Par bonheur, sœur Roslyn ne le savait pas non plus. Sinon, nous serions sacrement dans la mouise… Être Premier Sorcier a ses avantages…

Anna prit le message et le lut. Quand elle eut fini, des larmes roulaient sur ses joues.

— Créateur bien-aimé…, soupira-t-elle.

— Ça, tu peux le dire, femme…, souffla Zedd, ses propres yeux embués.

— Le trésor des Jocopos… Vous savez ce que c’est ?

— J’espérais que tu me le dirais, gente dame ! Pourquoi Nathan n’a-t-il rien précisé ? C’est absurde !

Dehors, des gens criaient de douleur et appelaient au secours. Plus loin, un mur ou une partie du toit s’écroula sur le sol. Les hommes beuglaient toujours en fouillant les décombres.

— Nathan oublie souvent qu’il est différent des autres, dit Anna. S’il sait depuis des siècles ce qu’est le trésor des Jocopos, il a pu penser que c’était de notoriété publique.

— Possible, mais ça ne nous avance pas beaucoup.

— Nous trouverons, Zedd ! Il le faut, et je tiens déjà un début de piste. (Anna brandit un index vengeur sur le vieil homme.) Vous viendrez avec moi ! Nathan est toujours dans la nature, donc, votre collier restera là où il est ! Compris ? Et je ne veux entendre aucun argument oiseux !

Zedd leva les bras et ouvrit négligemment le Rada’Han.

La Dame Abbesse le regarda, les yeux ronds.

— Il faut trouver le trésor des Jocopos, dit-il en lançant le collier à sa compagne. Nathan ne me semble pas du genre à raconter n’importe quoi. L’affaire est grave, et nous sommes tous en danger. Bien sûr que je viendrai avec toi, femme ! Mais cette fois, nous brouillerons notre piste – magiquement, bien sûr…

— Co-comment avez-vous pu…, bredouilla Anna. Ouvrir un Rada’Han est impossible !

Zedd la foudroya du regard – un bon moyen pour cesser de pleurer à cause du danger qui rôdait autour de Richard.

— Comme je l’ai déjà mentionné, être Premier Sorcier a ses avantages.

— Alors vous…, commença Anna, rouge comme une pivoine. Depuis quand avez-vous compris comment faire ?

— Il m’a fallu deux jours pour saisir le truc. Depuis, je peux retirer le collier à volonté.

— Pourtant, vous ne m’avez pas quittée. Pourquoi ?

— J’aime les femmes qui optent pour des solutions désespérées. Selon moi, c’est une preuve de caractère. Anna, tu crois tout ce que Nathan dit dans son message ?

— J’aimerais répondre par la négative… Hélas, c’est impossible. (La Dame Abbesse soupira.) Avez-vous remarqué qu’il a écrit : « Puissent les esprits avoir pitié de son âme » ? Pas : « les esprits du bien ».

— Tous les esprits ne sont pas bienveillants, loin de là ! Anna, que sais-tu sur les prophéties à Fourche-Étau, celles qui piègent doublement les gens ?

— Contrairement à un Rada’Han – comme je viens de l’apprendre – il est impossible d’échapper aux griffes d’une de ces prédictions. Mais pour invoquer la Fourche-Étau, il faut que le cataclysme mentionné dans le texte soit advenu. Dans le cas qui nous occupe, cet événement, quel qu’il soit, s’est déjà produit, ou ne tardera plus, puisque nous avons vu la lune rouge. Une fois la prophétie invoquée, sa victime est condamnée à choisir une des deux branches de la Fourche. Ou des deux mâchoires de l’étau, si vous préférez… Mais vous le saviez sûrement ? Un Premier Sorcier est informé de ces choses.

— J’espérais t’entendre dire que j’avais tout compris de travers, avoua Zedd. Bon sang, pourquoi Nathan n’a-t-il pas au moins recopié la prophétie dans son message ?

— Parce que c’est un homme de cœur…

Le Temple des Vents - Tome 4
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